A l’occasion du débat budgétaire relatif à la cohésion sociale, Eléonore Kazazian-Balestas est revenue sur la réforme du RSA, dont le versement est conditionné à quinze heures d’activité hebdomadaires ainsi que sur la situation d’extrême précarité touchant la jeunesse.
Quelle société voulons-nous pour demain?
Depuis le 1er avril 2025, pour une personne seule, le revenu de solidarité active (RSA), dont le Département a la charge, s’élève à 646,52 euros par mois. Depuis le 1er janvier 2025, la réforme du RSA contraint l’ensemble de ses bénéficiaires, à effectuer au moins 15 heures d’activité par semaine, sous peine de sanctions.
Des activités qui peuvent prendre la forme de formations, d’immersions dans des entreprises, d’entretiens ou encore d’ateliers. Le type d’activité et le nombre d’heure d’accompagnement sont établis par un algorithme, chargé d’estimer si le bénéficiaire est plus ou moins éloigné de l’emploi… Nous pensons que cette conditionnalité des aides précarise encore plus un public qui l’est déjà !
Des sanctions ont été établies dans « une logique de remobilisation des personnes dans leur parcours« , d’après le cabinet de la Ministre du Travail et de l’Emploi. Des pénalités financières de 50 à 100% du montant de l’allocation ont été prévues. La personne allocataire pourrait même être radiée de la liste des demandeurs d’emploi et donc, ne plus pouvoir bénéficier du RSA. Voici donc la société voulue par le Gouvernement : une société guidée par des algorithmes, dans laquelle les Iséroises et les isérois les plus en difficultés pourraient ne plus bénéficier de protection et d’aide.
Les 15h minimum imposées questionnent également d’un point de vue humain, et légal. En effet, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme considère que cette réforme est une atteinte aux droits humains et à « des moyens convenables d’existence », prévu par le Préambule de la Constitution de 1946, une atteinte aussi à une « insertion sociale et professionnelle librement choisie », prévue par la Charte Sociale Européenne.
Cette réforme est équivalente à la définition du travail forcé donnée par l’Organisation International du Travail qui s’entend comme « un travail accompli contre son gré et sous la menace d’une peine quelconque. » Rappelons également que le Code pénal lui-même ( art 225-14-1) interdit le travail forcé dans une définition similaire, lorsque le travail est réalisé sans rétribution ou presque. Le texte de loi ne précise pas en l’état quels seront les types d’activités obligatoires pour les bénéficiaires, il y a un risque réel de voir des offres d’emplois remplacées par ces heures gratuites. Dans le Département de l’Eure, par exemple, le Maire d’une petite commune a prévu, pour des raisons budgétaires, que l’entretien du cimetière normalement effectué par son personnel communal serait désormais réalisé gratuitement par des allocataires du RSA.
Quelle société souhaitons-nous pour demain ? Souhaitons-nous essorer ceux et celles qui ne disent rien car ils sont trop en souffrance et ne se reconnaissent plus dans un système qui les oublie et les maltraite ? La fraude dite « sociale » existe mais elle ne concerne que 6% des bénéficiaires de RSA, prime d’activité et aide aux logements … quand la fraude fiscale s’élève à 100 milliards d’euros par an. Ne devrions-nous pas changer de braquet et mettre notre énergie commune contre ceux qui bafouent l’intérêt général pour leurs intérêts privés ?
À l’heure où le non-recours aux droits progresse, cette réforme ne semble pas à la hauteur d’une juste réponse aux besoins des Iséroises et des Isérois les plus précaires et éloignés de l’emploi. Et pour cause, le Secours Catholique a noté que dans les départements tests, le taux de non-recours au RSA a augmenté de 11% alors qu’il a diminué de 1% dans ceux qui n’ont pas choisi l’expérimentation. En Isère, sur le volet de l’insertion à l’emploi, nous pourrions nous inspirer des expérimentations menées dans les « Territoires Zéro non- recours », auxquelles le groupe UGES avait souhaité voir candidater le Département de l’Isère, afin de répondre plus justement aux besoins des iséroises et isérois en situation de précarité.
Enfin, lorsqu’on se demande quelle société voulons-nous pour demain, il est nécessaire de se poser la question de la jeunesse qui fera société demain. Les étudiants d’aujourd’hui n’ont jamais été aussi pauvres : 1/4 des étudiants abandonnent leurs études en raison de problèmes financiers. 97% des jeunes qui vont à l’aide alimentaire vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec – de 811€ par mois. Pourtant 1/3 d’entre eux ont un travail en parallèle de leurs études, 3/4 d’entre eux ne sont même pas boursiers. Leur reste à vivre, une fois leurs charges payées, est de 100 euros par mois, soit 3,33 euros par jour pour se nourrir, se vêtir et se divertir.
Qui aujourd’hui peut vivre sainement avec si peu ? Comment mieux accompagner cette jeunesse pour qu’elle n’ait à se soucier que de sa formation et non à choisir entre le repas du midi et celui du soir ? En tant que chef de fil de l’action sociale, le Département se doit de faire mieux. Comment alors comprendre une baisse des budgets accordés à la jeunesse et à leur insertion de l’ordre de 25% ?
